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Patrick Jouin
by Modem – Posted February 25 2010
© Modem

La Substance du Design

Diplômé de l’ENSCI (Ecole Nationale supérieure de Création Industrielle) en 1992, Patrick Jouin rejoint l’année d’après Philippe Starck qu’il quittera pour ouvrir son agence en 1998. Depuis il enchaîne les projets qui vont de la conception d’objets (pour Alessi, Ligne Roset, Kartell…) à la scénographie d’expositions (la dernière au Musée Mori de Tokyo pour Van Cleef & Arpels) jusqu’à l’architecture d’intérieur (restaurants, boutiques, hôtels) et à des interventions d’architecture urbaine (le Velib à Paris).

Aujourd’hui le Centre Pompidou invite Patrick Jouin à exposer ses pièces et son idée du métier de designer dans "La Substance du Design". Entretien.

Comment avez-vous conçu l'exposition « La substance du design » ?

Quand le Centre Pompidou m'a confirmé - suite à une acquisition de nombreuses pièces - qu'il y aurait une exposition, mon idée a été de ne pas les exposer d’une façon classique comme l’on fait dans un musée, mais d’en montrer le processus de création. J’ai trouvé intéressant de montrer comment on conçoit ces objets, comment on les fabrique, comment intervient le commanditaire, le technicien, les designers de l'agence... J’ai voulu montrer tout ce travail d'équipe, collectif, pour en détailler les moments et l'organisation car le design n'est pas simplement une personne - le designer - mais tout un ensemble.
C’est d’autant plus intéressant de le montrer au public du Centre Pompidou car c’est un public très large allant des enfants aux spécialistes d’art et qui connaît très mal ce métier. C’est important que les gens arrivent à comprendre toutes les intentions et les processus qui sont derrière. C'est important de montrer que cette activité est, certes, très complexe mais aussi très riche. Elle est parfois galvaudée, parfois on imagine que le designer est simplement quelqu'un qui fait des chaises inconfortables, vendues à des fortunes dans les galeries!

L’exposition fait ressortir la dimension d’équipe comme intrinsèque et substantielle à cette activité. Pourquoi cette mise en avant du collectif ?

Parce que je pense que la beauté du design elle est là, elle est dans l’immense chaîne qui nous relie tous, que ce soit celle du passé – car quand on travaille sur une chaise, on a derrière nous l’histoire de tous ces artisans qui conçoivent et construisent des chaises depuis 100 ans – ou celle du futur, car on doit aussi se projeter dans l’avenir. Le propre du design pour moi c’est qu’il relie diverses personnes dont les compétences sont toutes nécessaires à l’aboutissement du projet.
Quand on fait une chaise en plastique pour Kartell, le technicien de l’injection plastique participe d’une façon très importante au projet. Je veux dire qu’il s’agit parfois de productions très complexes et on est bien loin de la figure du peintre tout seul dans son atelier !

L’invitation du Centre Pompidou s’adresse pourtant à Patrick Jouin, un designer, une identité très définie. Comment avez-vous abordé la question de la signature de votre exposition ?

Il y a évidement des éléments qui me sont propres qu’ils soient d’ordre esthétique ou méthodologique, la manière d’aborder un objet. Par exemple la relation entre l’usage et une recherche d’innovation esthétique ou technique, c’est ma façon d’aborder l’objet et c’est très personnel. Dans l’exposition je mets en avant des aspects précis du projet: le fait de vouloir faire un objet qui soit innovant et fonctionnel à la fois c’est une particularité qui m’est propre, c’est une ligne que je défends depuis toujours. Je suis toujours épaté par les possibilités ou les difficultés liées à la technique. C’est le jeu dans lequel j’aime jouer et ça m’est personnel. Ma signature, dans l’exposition, c’est donc de signifier que le designer n’est pas tout seul mais qu’il réussit malgré toutes ces difficultés à trouver son écriture, sa voie.

Plus particulièrement qu’est ce que vous intéresse dans l’innovation technique? Les nouvelles technologies vous permettent une créativité majeure ?

C’est plus facile de travailler sur des nouveaux objets liés aux innovations techniques parce qu’on est tout de suite dans un champ qui est vierge et qu’on est donc libéré du passé et de son poids, alors que quand on va travailler sur un couteau en acier, on a un passif.
Je dirai qu’on a moins de recul quand on fait des projets sur des nouvelles technologies. C’est plus intuitif, plus rapide, le cadre est immédiatement plus grand, même si on va le resserrer… C’est très différent de travailler avec les anciennes techniques même si pour moi elles gardent beaucoup de magie.




Dernièrement vous avez réalisé deux importants projets pour la ville de Paris : les sanisettes et le Velib. Qu’est-ce que représente pour vous cette dimension publique, sociale, démocratique du design?

C’est le hasard de la commande. C’est vrai que vingt minutes avant qu’on me demande de réaliser des sanisettes pour la ville de Paris je n’y pensais pas du tout. Mais après, quand une commande pareille vous arrive, vous réfléchissez tout de suite à cette portée. Je me suis dit: voilà enfin un projet qui va pouvoir véritablement changer la vie de tous et apporter quelque chose dans la ville, un service, en tout cas. J’ai pensé que tout ce que je sais faire, toute mon expérience de designer allait être utilisé et mise au service de ce projet. Et je suis très heureux de ça.
C’est que je trouve intéressant dans tout ça c’est que la ville ait fait appel à un designer pour ce genre de projet. Je pense à Andrea Branzi qui a travaillé toute sa vie sur ces petites choses dans la ville qui ont un impact énorme sur la vie de tous. Pour moi la vie est là, la ville est là et pas nécessairement dans le grand équipement d’une autoroute, car c’est par toutes ces petites choses qu’on touche à la vie des gens. Aujourd’hui je dois dire que c’est un projet dont je me sens très fier.

Qu’est ce que vous ressentez quand vous voyez des gens circuler en Velib ?

Je suis toujours détaché, je garde une distance dans le sens où je remarque tout de suite les défauts, les qualités aussi. On se dit toujours « J’aurais dû faire ça ou ça », mais c’est déjà trop tard!


Propos recueillis par Alessandra Fanari ©modemonline
Photos Emmy Lou Maintigneux ©modemonline

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