Modemonline June 09, 2025

MODEM Dialogues
In conversation with Serge Carreira


Serge Carreira, Director of the Emerging Brands Initiative at the Fédération de la Haute Couture et de la Mode and affiliated professor at the School of Management and Impact at Sciences Po

Questions conceived and hosted by Florian Müller

Modem: Les jeunes designers font souvent face à des défis tels que des obstacles financiers, la pression créative ou un manque de visibilité. Selon vous, quel est le soutien le plus important dont les jeunes talents ont besoin pour réussir ? Quelles mesures de soutien considérez-vous comme les plus efficaces ?

Serge Carreira: Je viens de finir de lire les "Lettres à un jeune couturier" de Gianfranco Ferré. Et il y a trente ans déjà, il soulignait à quel point l'industrie était beaucoup plus complexe, compétitive et saturée par rapport aux années 70.

Si les barrières à l'entrée dans l'industrie sont beaucoup moins importantes que par le passé, l'enjeu est de réussir à construire un modèle pérenne à partir d'un propos singulier. Le talent est, bien évidemment, essentiel mais cela n'est pas suffisant. Il faut savoir aligner une vision cohérente, mettre en place un système de développement et de production pertinent, trouver les canaux de distribution appropriés et déployer une image précise.

En grandissant, la marque doit réajuster tous ces paramètres simultanément. Chaque marque émergente est différente. Chacune a ses forces et ses faiblesses. Nous essayons d'avoir un dispositif qui couvre plusieurs champs, des conseils juridiques à la logistique. L'idée est de savoir à quel moment ces jeunes maisons ont besoin d'un soutien pour les accompagner dans leur développement.

Modem: SPHERE s'est imposé comme un showroom incontournable pour les acheteurs pendant la Paris Fashion Week. Qu'est-ce qui rend ce format unique par rapport à d'autres initiatives de soutien aux jeunes talents ? Quels sont les valeurs et principes qui le guident ?

Serge Carreira: SPHERE est une plateforme qui permet aux marques émergentes de présenter leurs collections aux acheteurs mais aussi aux professionnels du secteur. L'objectif est de leur permettre de consolider et d'augmenter leurs ventes tout en étant au contact de l'écosystème de la mode.

Nous ne sommes pas concurrents des autres showrooms ou salons dans la mesure où ce sont les marques qui assurent leur commercialisation. Elles ont bien souvent un agent ou un commercial free-lance qui les assistent à SPHERE. Ces marques émergentes ont en commun d'avoir un propos créatif singulier et un engagement.

Modem: Quels critères sont essentiels pour vous lors de la sélection des marques pour SPHERE ? Comment faites-vous en sorte que la créativité et le potentiel commercial soient pris en compte ? Quelles qualités appréciez-vous particulièrement chez les jeunes designers?

Serge Carreira: La sélection des marques de SPHERE est faite par un comité réunissant chaque saison des professionnels, des acheteurs et des journalistes. Il ne s'agit pas d'un choix individuel. Les marques rejoignant les calendriers officiels de la Paris Fashion Week ont bien évidemment une priorité. Un des critères est aussi celui des prix internationaux tels que le festival de Hyères, le LVMH Prize, le Woolmark Prize ou l'ANDAM par exemple.

Nous ne sommes pas, en tant que tels, des révélateurs de talents. Nous sommes un des acteurs de cet écosystème et, à travers cette plateforme, nous cherchons à créer un cadre propice pour que ces marques se développent. Paris étant une scène globale de la mode, nous avons également mis en place des échanges avec la Camera della Mode Italiana ou la Copenhagen Fashion Week. SPHERE se doit de refléter la diversité de la création émergente.

Modem: La durabilité est un enjeu central dans l'industrie de la mode, tant sur le plan écologique que social. Comment les jeunes designers peuvent-ils, selon vous, développer des solutions innovantes pour un avenir plus durable ? Quel rôle joue SPHERE dans ce contexte ?

Serge Carreira: Les marques émergentes se singularisent par leur engagement sociétal. Il y a une vraie envie de faire bouger l'industrie. Elles explorent des solutions innovantes dans leur processus de création, de développement ou de production. Certaines peuvent, même, baser leur modèle de développement sur ces nouvelles pratiques. Les marques sélectionnées à SPHERE bénéficient de cette plateforme pour partager leur approche. Et les projet les plus pertinents sont ceux capables d'allier engagement et création.

Modem: La diversité et l'inclusivité sont des thèmes essentiels pour l'avenir de l'industrie de la mode. Comment encouragez-vous ces valeurs dans votre travail, que ce soit à la Fédération ou dans vos autres rôles ? Y a-t-il des projets ou des designers qui vous ont particulièrement marqué dans ce domaine ?

Serge Carreira: Il me semble plus que jamais nécessaire de promouvoir les talents au pluriel. Malgré une plus grande attention, les mentalités sont parfois en retard dans notre industrie. Les propos critiques, virulents et hostiles vis-à-vis de créatrices comme Maria Grazia Chiuri ou Virginie Viard lorsqu'elles étaient à la tête de grandes maisons m'ont toujours stupéfaits.

Aussi, il est indispensable de soutenir toutes les expressions. De nombreuses organisations agissent pour promouvoir la diversité des talents qu'il s'agissent de la Maison Mode Méditerranée, du programme CANEX pour les créateurs africains ou du Fashion Trust Arabia. Il est important de mettre à l'honneur des femmes ou des créateurs venus du monde entier.

Modem: Lors de l'événement Who's Next à Paris, vous avez récemment participé à une table ronde sur la campagne "Mental Health in Fashion". Pourquoi est-il si important de sensibiliser davantage l'industrie de la mode à la santé mentale ?

Serge Carreira: Dans nos sociétés, basées sur la performance et le succès, les questions de santé mentale ont longtemps été taboues. Elles étaient associées à une forme de faiblesse. Et cela dépasse largement le secteur de la mode. On peut observer, aujourd'hui, qu'il y a une prise de conscience. La parole se libère progressivement. C'est salutaire car c'est en affrontant ces questions qu'il est possible de mettre en place des structures et du soutien pour les prévenir ou pour les soigner.

Modem: Les pressions psychologiques dans l'industrie de la mode – de la pression créative à l'incertitude économique – sont énormes. Quelles mesures concrètes pourraient être prises pour créer un environnement plus sain et plus soutenant pour les designers et autres acteurs du secteur ?

Serge Carreira: La mode est une industrie qui fait rêver. Au nom de ce rêve, certains considèrent qu'il faut des sacrifices. Or si la mode est une discipline exigeante, l'effort ne signifie pas la souffrance. Le mythe romantique du créateur torturé, et donc génial, est encore trop présent. Pour faire changer les choses, il faut aussi des exemples positifs. Cela doit commencer dans les formations de mode. Se détruire ne signifie pas avoir du talent. Mais il faut surtout qu'il n'y ait plus de honte à exprimer une fragilité ou un mal-être. Les campagnes de sensibilisation sont définitivement nécessaires pour faire de la prévention.

Modem: Votre travail relie les jeunes talents à une industrie en pleine mutation. Si vous deviez transmettre un seul conseil ou état d’esprit aux créateurs de demain, quel serait-il ? Et qu’aimeriez-vous qu’ils retiennent de cette époque que vous contribuez à façonner ?

Serge Carreira: Tout d'abord ce sont eux qui façonnent l'époque. Ils doivent être en mesure de contribuer à traduire les aspirations de la société dans leurs collections. Une mode déconnectée du monde est juste un exercice de style. Je pense que l'enjeu est de réussir à jouer avec le système en étant intègre. Il faut entendre intégrité dans son double sens : quelque chose à la fois de cohérent et quelque chose avec des valeurs fortes.

Modem: Si vous jetez un regard sur l'avenir, quels changements souhaiteriez-vous voir dans l'industrie de la mode, en particulier en ce qui concerne la durabilité, la diversité et la santé mentale ?

Serge Carreira: Il est essentiel d'avoir une approche optimiste. La nostalgie est un renoncement. Il faut souhaiter que les progrès observés ces dernières années pour une industrie plus vertueuse de confirment. Les mentalités ont évolué mais les pratiques et les habitudes peinent toujours à suivre parfois. Les consommateurs se disent conscients mais achètent de la fast fashion.Des professionnels continuent à reproduire des schémas néfastes. Je crois que l'industrie peut poursuivre son évolution et fixer des standards assurant une plus grande transparence.

Interview by Florian Müller for MODEM
Portrait Serge Carreira - Photo credit ® Stephane Kossmann.

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