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François Azambourg
by Modem
© Modem

« Dans le monde industriel, ce qui est passionnant c’est le moule, qui est une espèce de "conformateur" à matière. »

Quelle est votre définition des mots « design » et « héritage » ?
J’ai trois entrées dans le design. L’industrie : en France, nous avons un tissu industriel très présent, des ingénieurs de très belles qualités et de grands savoirs. La tradition des arts décoratifs devenus aujourd’hui les arts appliqués. Et... mon propre passé ! Je récolte beaucoup de choses liées à mon enfance et notamment à l’univers du jouet auquel mes objets sont souvent liés, pour leur couleur, leur texture. Comme pour la chaise Mr. Bugatti par exemple, inspirée par l’histoire de mon grand-père qui était chauffeur de maître...

Donc mon héritage vient de l’industrie, du décoratif et de mes gènes !

De qui êtes-vous l’héritier ?
J’ai beaucoup d’affection pour Jean Prouvé qu’on a mis dans la « chapelle du design » mais qui est plutôt bien meilleur en architecture. Il montre cet appétit à faire des choses bien construites, il a le plaisir de la belle ouvrage. Serge Mouille, aujourd’hui connu pour ses luminaires, avait une démarche plastique exceptionnelle. Achille Castiglioni porte toujours un regard amusé sur les objets. Ils ne sont jamais ampoulés, empesés ou bourgeois. Il n’y a pas un gramme de graisse dans ce qu’il fait !

Quels sont ceux que vous avez marqués de votre influence ?
Dans le monde industriel, ce qui est passionnant c’est le moule, qui est une espèce de « conformateur » à matière. On injecte des purées de matière et le moule en fait une forme, avec des fonctions, des surfaces obtenues d’un seul jet. Tout le dessin de l’objet est lié à un passage de fluides... Le moule est en général en acier chromé et, pour une chaise de deux kilos, il pèse plusieurs tonnes. Si je devais transmettre un objet, ce pourrait être ma première chaise, la chaise Pack en textile 3D qui pose la question du moule. Avec elle, qui représente deux années de recherche, on importe l’usine chez soi... Cette chaise pose aussi la question du transport, ici très économique puisqu’elle ne fait que 10% du volume d’une chaise pliée.

Depuis 1998, je tente d’atomiser la lumière. Le deuxième objet serait le luminaire Brindille, réalisé avec la fibre optique. C’est le lieu de la lumière qui pose la question de la forme. Aujourd’hui on conçoit toujours les lampes comme des points lumineux qui éclairent à la façon des bougies, comme des ancêtres de becs de gaz ! Avec Brindille, j’ai voulu faire un système de petites baguettes lumineuses qui soient en suspension dans l’air. Il n’y a rien de plus léger que la lumière, j’ai toujours envie de parler d’immatérialité avec elle… 80 grammes de fibres optiques et de diodes, ce ne sont pas des matériaux, c’est un volume.

Quelles sont vos références, vos sources culturelles, esthétiques et
de savoir-faire ?

Mes sources sont plutôt les peintres, pour les sensations qu’ils proposent. J’aime beaucoup les impressionnistes, Bonnard en tête, j’aime la notion d’objets flous.
Dans ma production, les objets sont souples. J’ai du mal à ce qu’ils se définissent dans un aspect définitif. Ils trouvent souvent leur aboutissement dans la procédure. J’aime les projets ouverts. Dans la lumière, la notion de vapeur m’intéresse. Dans un absolu, j’aimerai faire d’une lampe, un nuage, quelque chose qui flotterait au-dessus de nos têtes, c’est un peu le rêve que l’on n’atteint pas.

Je suis arrivé au design en commençant par un bac technique. Puis, j’ai fait les Beaux-Arts, enfin je suis passé aux arts appliqués. J’ai toujours été tiraillé entre l’aspect plastique et l’aspect technique. Je ne dessine pas mes objets, je les compose. Je ne commence pas par dessiner pour, par la suite, passer à la fabrication. Je sais déjà selon quelle technique je vais réaliser l’objet, c’est elle qui influence sa forme. Cela crée une imbrication complexe : on a envie de quelque chose et l’on obtient ce que l’on n’attendait pas. Parfois on est obligé de lâcher ce à quoi on tenait au départ...

Quel est votre rôle en tant que designer ?
L’objet est un mélange de techniques, de fonctionnalités et de beauté, de plaisirs plastiques. Le rôle du designer en France est malheureusement assez réduit. Cependant, je ne le perçois jamais autant que lorsque je travaille avec les industriels. Tout d’un coup on peut introduire autre chose dans l’objet et lui faire perdre son côté trivial !

La chaise est un bon exemple, sa fonction n’est pas très élevée. Et pourtant cet objet est constamment redessiné. Travailler sur une chaise c’est travailler sur un langage commun. Il faut arrêter de dire que le designer innove ou opère une révolution de l’objet. C’est totalement faux ! Les vrais moteurs de notre société sont les ingénieurs et nous, comme nous sommes malins, nous faisons de belles récoltes, une espèce de butinage plus ou moins réussi...

Propos recueillis par Cendrine de Susbielle
MODEM Design