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Martin Szekely
by Modem
© Modem

« Un plat, c’est sans doute une espèce d’intermédiaire entre le sol et l’aliment. On est allé jusqu’à imaginer une procédure préhistorique au design. »

Quelle est votre définition des mots « design » et « héritage » ?
La première étape, c’est la venue dans le métier. Je suis passé comme beaucoup d’autres par le biais de l’admiration. C’était une façon de se former. J’ai ainsi aimé Enzo Mari, Castiglioni. Ce sont restés des amours indéfectibles. Je suis resté fidèle.

Mais toujours, mon travail a convergé vers un point focal qui aujourd’hui est bien identifié : c’est « l’économie », une économie visuelle des moyens mis en œuvre. C’est sur cette idée d’économie que je cale mon travail. À cette notion, se rattache celle de « à la limite ». C’est autour de ces deux thèmes que mon travail se construit.

Et, toujours, ce re-questionnement permanent : « De quoi on parle ? Qu’est-ce qu’une table ? Qu’est-ce qu’un rangement vertical ? »

De qui êtes-vous l’héritier ?
Mon travail est nourri de l’histoire, mais je ne veux pas faire mon travail à partir de l’histoire. Je veux me reposer des questions, repenser l’essence, l’origine des objets.

Dans les années 98 ou 99, la remise en question de mon travail et d’un certain nombre d’années de pratique est passée par la remise en question même du dessin. Cela ne veut pas dire que je ne prends plus de crayons, que je ne prends plus de notes, que je ne dessine plus. Cela veut dire que mon travail n’est plus issu d’une graphie et d’un geste. Et que ce travail se constitue à partir de données extérieures à ma personne. Je suis là pour synthétiser des données extérieures qui sont la culture de l’objet, son histoire, à chaque nouvelle occasion qui se présente, chaque nouvelle opportunité.

Quels sont ceux que vous avez marqués de votre influence ?
J’ai toujours refusé d’enseigner. Mon travail sera, pour certains, référent ; pour d’autres, il sera anecdotique. Il n’y a pas de message, il n’y a pas d’ambition de rendre la vie meilleure. Mon travail consiste, dans la mesure de mon possible et avec mes moyens, à faire état des possibilités à un moment donné dans ce petit périmètre du design, des objets d’usage. Il n’y a que dans ce périmètre là que je suis compétent. La question de « l’économie », la question de « à la limite» convergent vers cette question des possibilités qui sont données à un moment.

Quelles sont vos références, vos sources culturelles, esthétiques et de savoir-faire ?
Le dénominateur commun à un projet est souvent une façon nouvelle de travailler un matériau. Une procédure nouvelle génère toujours un objet nouveau. La matériau est important car, à un moment donné, on passe à l’acte de réalisation. On fait un travail tangible. C’est l’histoire des plats réalisés au CIRVA (Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts Plastiques). Gaetano Pesce a eu l’idée d’un outillage pour projeter du verre en fusion à partir d’un pistolet. Avec sa permission, j’ai ré-utilisé son matériel et j’ai re-travaillé sur « Qu’est-ce qu’un plat ? ». Un plat, c’est sans doute une espèce d’intermédiaire entre le sol et l’aliment. On est là pour protéger l’aliment du sol et pour se faire, on est allé jusqu’à imaginer une procédure préhistorique au design.

Quel est votre rôle en tant que designer ?
C’est un travail en pleine conscience qui m’intéresse. Jusqu’ici, j’ai très peu montré ce que je fais. Je ressens aujourd’hui la nécessité de dire et de montrer. Un gros livre est en préparation. L’intérêt du temps qui passe c'est que plus le travail s’accumule, plus les gens ont des références sur ce que je fais et plus il m’est permis de faire ce que je veux. Mon travail est un dialogue. Je ne travaille pas seul mais avec des gens qui me posent des questions lourdes, embarrassantes. Qui me demandent « Pourquoi ? » et qui me font aller plus loin. De mon côté, mes travaux sont « attentionnés » à la personne et à son environnement. C’est souvent l’élément déclencheur de pièces nouvelles, parce qu’il y a un contexte nouveau, et sans être négatif du tout, un périmètre culturel indépassable. Au-delà de ce périmètre, on n’est plus compris. Et ne pas être compris, ce n’est pas le but du jeu.

Propos recueillis par Cendrine de Susbielle
MODEM Design